dimanche 21 février 2021

La vie dans son essence la plus pure...

La vie dans son essence la plus pure jaillit. Comme une source liquide, solide ou éthérée. L’eau, bien sûr, le jaillissement d’une cascade, qui d’ailleurs, peut être cascade en réduction. La goutte d’eau s’échappant du robinet. Ou bien encore le filet d’eau coulant entre deux pierres. L’idée, ici encore, déborde du signe.

La cascade fut toujours, en mon esprit, porteuse d’un sens multiple, au-delà du désir sublimé ou bien d’une pureté qui n’a, me semble-t-il, de réalité autre que théorique… Le sens n’est pas le mot, moins encore le signe, et ne saurait être réduit à une définition, explication mercantile pour guide touristique. De la cascade au fleuve, cette rivière pour géants, l’imagination demeure notre troisième œil, et de cet œil jaillit la source de la vie.

Le fleuve est un torrent qui aurait pris des habitudes. Comme moi sans doute. Pourtant je ne me sens pas fleuve. Ruisseau peut-être, caché dans les sous-bois. L’expression de la puissance n’est pas de mes désirs. Les fleuves, même les plus indisciplinés, respectent l’ordre extérieur. Le ruisseau suit son chemin sans se préoccuper de l’ordre du monde. Il possède sa propre organisation et n’en est pas possédé. Il est l’ordre, le vrai, celui exempt de structures, sans cesse changeant, toujours exact. La vanité est sans doute un défaut.

Le torrent, de principe aquatique, est pourtant l’essence même du brasier. Le jaillissement multiple de la source, origine du torrent, est infiniment plus proche de l’image solaire que ne peut l’être le feu.

La terre, l’eau, l’air, le feu… Ces symboles élémentaires sont signes plutôt qu’entités fondamentales. La pierre, le brasier ou la source, ainsi que le vent, sont entités charnelles avant d’être signes. Quatre univers remplacent les éléments. L’un d’entre, le vent, des trois autres se compose. La pierre est sa chair, le brasier est son cœur, la source son sang… L’air ne saurait contenir le vent, qui est matière et esprit, voix multiple et solitude, l’infini rejoignant l’absence.

Le vent ne s’explique pas. Le vent ne se peut conquérir. Le vent ne saurait être maître ou esclave.

 

jeudi 11 février 2021

Un homme sur deux

(Monologue)

Une cellule. Comme un cercueil. Sans doute faut-il s’habituer. Les murs, blanchâtres, voudraient se faire oublier. Un bat-flanc sert de lit lorsque vient la nuit, de table pour les trois repas découpant la journée en tranches insipides. Instrument de tortures et de discipline à toute heure.

Viendra-t-il ?… Il vient toujours… Comment pourrait-il en être autrement ?… S’il ne venait pas, je n’existerai plus pour personne… Je deviendrais une ombre. Mais il ne me laissera pas à mon néant. Sans moi que serait-il ? Il viendra ! … Et il sera seul. Je le sens. Aujourd’hui j’ai de la chance.

Mais je dois réfléchir, prévoir, m’organiser. Je dois penser à mon avenir. Je dois en avoir un ! Autrement tout serait inutile. Que ferais-je lorsque je serais vivant ?

Bruits de pas dans ce couloir impersonnel et triste. Une serrure joue son rôle et ouvre la porte de la cellule. Je ne la vois pas mais je sais sa présence.

Ici seuls les bruits sont doués de parole. Un homme, sans âge, entre dans la pièce. Il cherche à sourire mais n’y arrive pas. Il me demande si j’ai passé une bonne nuit, que pourrais-je lui dire ? Est-ce différent à l’extérieur ? Je ne sais pas.

Je n’arrive plus à me souvenir de ce qui était avant la prison. J’ai même oublié le tribunal. Le juge, les participants, le public, leur regard, leur voix. Avaient-ils une odeur, étaient-ils réels ? Je ne sais plus. Je ne veux plus.

Je ne suis pas bien. Je me coucherais si cela était possible, mais je serais aussitôt puni…

Je reste debout. Le gardien ne dit rien, que pourrait-il dire sans enfreindre les règles, celles de l’administration tout comme celles de la courtoisie.

J’ai honte de ma faiblesse. Le gardien semble trouver cela normal… Peut-être est-il aussi faible que moi ? … Sans doute est-ce pour cela qu’il est emprisonné, tout comme moi, même s’il possède les clefs ? … Le gardien semble ivre et sans doute est-ce le cas. La liberté est une liqueur trop forte pour qui n’a jamais connu autre chose que l’obéissance et il a failli désobéir, me permettre de m’asseoir, me dire qu’il me comprenait, que nous étions tellement semblables.

Le gardien quitte la cellule. Je ne bouge pas…

J’écoute le silence qui, peu à peu, revient. Chants d’oiseaux dans le lointain et bruits de pas se rapprochant. Je ne bouge pas, j’attends, comme d’habitude. Chez moi, l’attente est naturelle, comme respirer ou penser. Le rêve est devenu un acte volontaire et difficile.

J’aimerais avoir un oiseau. Je me sentirai moins seul. Mais ce serait absurde ! Une prison à l’intérieur d’une cellule ! Et lui n’a rien fait ! Quant à moi… Je ne sais pas… Pourquoi suis-je ici ? Je ne sais pas. Peut-être pour rien…

Et lui, pourquoi est-il là ? Parce que c’est son métier !… Peut-être l’a-t-il choisi ? Il aurait pu faire autre chose. Il a choisi d’être gardien de prison. Peut-être voulait-il être utile. apporter de l’humanité à ceux qui en étaient dépourvus… ou privés… Enfin, c’est un peu la même chose… Il ouvre beaucoup de portes chaque jour… IL en ferme autant… Mais il ne fait pas que ça. IL marche beaucoup, aussi, entre deux portes. Il y a de nombreux couloirs et autant d’escaliers. Derrière chaque porte se trouve un prisonnier qui attend sa venue. Souvent avec espoir. Parfois avec crainte… Et lui aussi attend ces moments-là. Sans eux il ne serait rien. Même s’il ne peut rien nous dire, par crainte d’être indécent en nous parlant de la vie. Cette vie qui continue et dont nous sommes exclus.

Parfois l’indécence me manque. J’aimerais savoir ce qui se passe dehors. S’il fait beau ou s’il pleut. Si les arbres existent toujours… Ici on finit par douter de tout. Aujourd’hui, il fait très beau, presque trop. Les gens souffrent de la chaleur mais je ne les plains pas ! Je les envie ! Dans une cellule, on ne peut se plaindre de rien. Je dois manquer de sens civique… Sans doute est-ce pour cela que je suis ici.

Le jour s’est levé sans que je ne m’en aperçoive. Je porte le poids de mes cauchemars. La nuit fut rude, peuplée de fantômes incertains et accusateurs, de souvenirs avançant masqués. Si je pouvais me souvenir… quel était mon nom ? qui étaient mes proches ? Je ne pouvais pas être seul. Qu’ai-je fait de ma mémoire ?.
Je ne me souviens plus de mon nom ! Je devais en avoir un pourtant. Je suis sans passé et sans avenir. Je n’ai plus de souvenirs mais il me semble que j’aimais apprendre, découvrir, comprendre. je ne sais plus très bien ce que disent ces mots. Je passai mes journées à parcourir la ville. Je connaissais chaque rue, chaque immeuble, chaque arbre, chaque pierre… Les arbres me manquent…

La rumeur avait précédé la lumière électrique indiquant le début officiel de la journée. Chaque journée était divisée en quatre parties : la matinée, l’après-midi, la soirée et la nuit. La lumière, ou son absence, rythmait notre vie : Lumière froide et vive pour la matinée, Lumière chaude et douce dans l’après-midi, lumière diffuse pour la soirée et l’obscurité totale pendant la nuit. Ainsi, pensait-on, les prisonniers ne perdraient pas contact avec la réalité et ne se prendraient pas à rêver à l’éternité, et, par voie de conséquence, à l’immortalité…

Les pas se rapprochent. Un. Deux… Trois, quatre… Cinq. Ils sont cinq !… Quelqu’un va mourir !.

Les pas se sont éloignés. Le silence revient, se débarrassant, peu à peu, des échos du micro-tumulte précédent. La porte s’est ouverte. Le Gardien s’excuse, il est en retard, les couloirs étaient bloqués.

J’ai eu peur. Je pensai qu’ils venaient me chercher. En fait j’ai peur tous les matins. J’imagine : des bruits de pas, plusieurs personnes, le gardien entre, il n’est pas seul. On m’emmène. Puis tout s’arrête.

Il ne faut pas penser à çà. Je peux être gracié, ou bien innocenté. Ils se trompent parfois. Un prisonnier est resté trente ans dans le couloir des condamnés à mort avant qu’ils ne s’aperçoivent de son innocence. Une erreur de nom.

La lumière a un sens !… J’en suis sûr maintenant. Elle est forte et pénible le matin, pour nous réveiller, comme du sel sur une plaie. Elle est douce et plutôt agréable l’après-midi. La nuit, il n’y a pas de lumière. Le soir elle est faible et sinistre… Les cauchemars sont là mais ils se cachent. Ils ne se contentent pas de nous mettre en cage. Ils nous enchaînent avec leurs règlements. Ils nous créent des habitudes.

Le gardien entre, il pense que je ne le ne le vois pas, ou que mon attention est ailleurs. Il ne veut, ni me faire peur, ni me surprendre, alors il attend, indécis, il sait attendre, il ne sait faire que çà d’ailleurs… D’habitude, personne ne remarque sa présence. Comme s’il était transparent. J’ai dû entendu penser à voix haute. Il m’a entendu et cela le gêne.

Êtes-vous joueur ? – lui dis-je – Je veux dire… Je sens que tout ceci n’est qu’une illusion, un jeu, dont nous pouvons changer les règles. Je peux être libre, si je le décide. Je ne peux pas abattre ces murs et sortir, mais je peux ne pas en tenir compte et ne plus avoir peur. Vous ne comprenez pas ? Peu importe. Quel est votre désir le plus cher ? Faites-vous confiance. Vous ne risquez rien. Rêvez ! Le gardien réfléchit, puis se lance : » j’aimerais avoir un peu d’argent, assez pour ne plus travailler. Je parlerais aux arbres et aux fleurs… J’aime ce qui ne bouge pas… ça me rassure. Je leur parlerai – un peu – et j’écouterai, longuement, leur réponse… Et je serais heureux !

Un autre jour commence, le gardien entre : Je suis heureux ! Grâce à vous. Je viens de faire un petit héritage. Je n’ai plus besoin de travailler. Je tenais à vous en faire part et je voulais aussi vous remercier… Mon seul regret est que je ne vous verrai plus… Qu’allez-vous devenir ?

N’ayez nulle inquiétude. Ma vie est belle.

Le gardien, s’emportant : « Mais bien sûr je m’inquiète ! Nous nous connaissons depuis si longtemps. Nous avons appris à nous connaître, à nous apprécier… Nous sommes des amis… Vous êtes mon seul ami. Et je vais vous perdre !…

La lumière diminue. Des pas, nombreux, dans le couloir. La porte s’ouvre. On m’emmène. Dans la cellule, l’obscurité est venue. Le gardien s’est affaissé, en larmes, sans doute. Le sol vibre. Je vois une mouche qui danse… D’autres mouches apparaissent… Je ne vois plus rien. Est-ce la fin ? Un homme sur deux est riche… Un homme sur deux est mort… L’un des deux s’est perdu.

samedi 6 février 2021

En ces époques nues…

En ces époques nues où la chair de l’émotion laisse transparaître le squelette de la raison sociale (raison de l’entreprise individuelle qui, pourtant, méconnaît l’individu) la masse – toujours elle – prend le pas sur l’être… Comme le paraître sur l’existant.

En ces époques nues la politique du reste a rang de philosophie. L’art, quant à lui, ne saurait exister. Un grain de riz perdu sur le pavé devient marbre à sculpter. Un univers voit le jour. Création éphémère d’un amuseur affairé en quête de gains faciles à obtenir. Ainsi commerce et art se confondent. La masse, toujours, étouffe le sens.

Le riz est un paysage. Femmes courbées dans les rizières. Conversations de fin de soirée où la chaleur de l’alcool remplace l’inspiration. Repas partagés, un grain de riz divisé en cinq, puisqu’il y a quatre convives, la cinquième part sera pour le pauvre de passage, le plus pauvre d’entre nous, le rat, ce mal aimé. Ainsi devrait être l’amour, un don, sans rien attendre, à celui qui ne possède rien, pas même l’amour. Du festin à la cène, parfois, suffit un pas, qui sera ou non franchi. Un soupçon d’intention peut changer le monde. Nous étions insouciants, égoïstes, peut-être… Nous voilà acteurs d’un drame planétaire. D’une aile de papillon dépend le sort du monde. Il suffit parfois d’un souffle pour que tombe dans l’oubli une civilisation hier triomphante.

Sur une table, les restes d’un repas. Un grain de raisin rescapé d’un génocide. La naissance du vin ne provient-elle pas d’une mise à mort, celle du raisin ? Quelques bouteilles renversées dressent le décor. Cadavres qui furent froids avant même de mourir. Un nom unique désigne la dépouille de l’homme et celle du vin. Les deux dépouilles, souvent, se confondent. Traces de vies perdues.

Des cris, quelques rires. Le sang qui coule dans les veines. Un repas partagé. Des paroles échangées. Puis la mort, qu’il y eut ou non un bûcher. Seule reste la cendre.

Un jour, le silence, pas l’absence de bruit, non le vide, mais son contraire. Le silence est là. Présent comme du granit. Des ondes, vibrations incertaines, souterraines, intériorisées. Un tremblement à peine perceptible s’empare des corps. Perçue tout d’abord comme un fantasme, sa réalité, bientôt, ne prête plus au doute ce qui appartient à la peur. Peur du cataclysme. Du tremblement de terre, cette mort offerte par la nature. La tour s’écroule. Le désert reprend ses droits. Un grain de raisin encore vert est tombé (d’une table sans doute) La table n’est plus, reste son ombre, fruit trop vert pour être convoité.

La solitude reste ma compagne…

 

jeudi 21 janvier 2021

Blanc et gris…

Blanc et gris
Neige et cendres
La vie certainement.
La mort, bien sûr,
pour ne pas oublier.
Ce doute qui nous ronge.
Cette peur qui nous porte.

Fin d’Automne noir
Fleuve de larmes sur mon cœur
Une étoile brille,
bleue comme le silence,
douce comme l’espoir.
L’année sera brève
et partira sans regret.

Vers la lumière, peut-être,
l’obscurité prend fin,
ouvrant nos esprits.
Comme tombent les masques,
feuilles d’automne,
prisons de papier.

Le froid, la nuit, le silence…

Le froid, la nuit, le silence à l’état pur. Le ciel comme une invitation au rêve. Champ d’étoiles. Campus stellae. La vieille route des marchands. Chercheurs d’épices, chercheurs d’âme, en quête d’espérance. Je ne sais pourquoi, le froid et la nuit furent toujours mêlés dans mes rêveries. J’aime cette sensation, la solitude, qui pénètre mon corps. La solitude devenue matière. Le mot dépasse le sens, le mot dépasse l’objet. Le mot est un univers transportable et invisible, il est une présence, un réconfort, comme une forteresse face au monde.

Le froid, le silence, la nuit. Le froid, le silence glacé, hurlement des loups, le danger est un voyage. Réalité et rêve réunis, comme deux amants, Isis et Osiris, frère et sœur amants sans être incestueux. Le silence, l’espace blanc, immaculé. Un silence différent, la tache apparaît. Le premier espace n’était pas aussi blanc qu’il le parut de prime abord. Le silence n’est pas une absence, bien au contraire. Il n’y a pas de vide, juste une présence plus ou moins grande de la clarté.

La nuit, le calme et le repos. Je me souviens de ces êtres rencontrés, passé minuit, le temps de l’horloge laissait place à celui de la parole échangée, portée par la respiration. La nuit est échange charnel, quand bien même cet échange serait immatériel. À moins que l’absence de la matière ne soit la condition, unique autant qu’indispensable, de la communication. Je ne sais… La vérité ne saurait être révélée mais seulement perçue.

Je ne souhaite pas me perdre… Je ne voudrais pas vous perdre !… L’époque n’est pas à l’insouciance.

 

L’amour ne saurait être…

L’amour ne saurait être qu’inconditionnel et désintéressé. Ne cherchons pas à être aimé. Contentons-nous d’aimer et apprenons à aimer, non pas plus ou mieux mais totalement, sans rien demander, sans rien attendre en échange, ne nous comportons pas en épiciers ! N’attendons rien en retour de l’amour donné et nous recevrons infiniment plus que ce que nous pensions pouvoir obtenir.

L’amour n’est pas un commerce. Il ne se vend ni ne s’achète. Il ne peut être que donner, ou, pour mieux dire, offert. Et qu’importe s’il n’est pas reçu, le don existe. Nous avons le choix : aimer ou ne pas aimer, comme nous avons le choix de vivre ou mourir.

 

mercredi 20 janvier 2021

M.

Il est de la solitude comme du premier regard porté sur l’inconnue rencontrée, comme par hasard, dans l’un de ces lieux prétendus publics ; une vérité changeante comme ces paysages nocturnes vus d’un train à sa pleine vitesse et qui, pourtant, nous furent révélés dès le premier regard. L’esprit ne sait pas ce que possède la conscience. Je souhaitais pénétrer, mais sans effraction, dans cette parcelle d’intimité qui pourrait être qualifiée de commune, au sens où la nature est le patrimoine de tous sans être la propriété d’aucun. Je me savais dépourvu de toute curiosité malsaine, mais ne pouvais m’empêcher de m’imaginer dans la peau d’un presque vampire qui aurait eu plus de points communs avec une chauve-souris maladroite et végétarienne qu’avec un Nosferatu, fut-il de cinéma. Notre rencontre fut programmée, par l’intermédiaire d’un ami qui me savait inoffensif, comme vampire tout au moins. Je ne savais rien de ma première victime, souhaitant ces rencontres semblables à des îles inconnues qu’il me faudrait découvrir. Je m’étais rêvé vampire, je me découvrais marin. Serais-je moins ridicule dans la vareuse d’un navigateur qu’emmêlé dans la cape d’un buveur de sang ?

Je retrouvais M. dans une brasserie dont l’intérêt unique était de se trouver au point central de toutes mes divagations piétonnes. Mon sens de l’orientation irrégulier et incertain m’interdisait toute innovation concernant mes lieux de rendez-vous. Nous nous rencontrâmes comme à l’aveugle, n’étant sûr, ni elle ni moi, de l’identité de l’autre. Ce que fut cette rencontre restera notre secret. Non par goût des zones obscures, mais par volonté de trouver cette clarté qui se trouve au centre de chaque rencontre ; cette lumière qui nous échappe, le plus souvent, occultée par notre sens du raisonnable, de l’observation objective et glacée, du réalisme intellectuellement correct ; cette ouverture sur les vastes territoires du sensible. Je ne vous parlerais ni de son visage ni du son de sa voix. Je ne vous conterais pas notre conversation. Je me contenterais d’entrouvrir une fenêtre donnant sur quelques-uns des paysages, je ne peux imaginer d’autres mots, qu’elle m’offrit, sans peut-être même en avoir conscience. M. m’apparut, d’abord, être le terrain de chasse idéal pour le navigateur novice et vaguement anthropophage dans lequel je pensais devoir m’incarner. Elle était, me semblait-il, une femme sérieuse et responsable, exerçant la respectable profession de documentaliste au sein de l’éducation nationale. Elle possédait l’humour, la curiosité ainsi que la patience nécessaire afin de supporter mes indiscrétions et mon tact limité. Elle avait choisi d’accepter, non pas de fuir, de s’ouvrir aux assauts du monde qu’ils fussent doux et caressants ou bien douloureux. Elle avait compris que seule la tendresse les menait. Elle se savait forte de sa vérité projetée en pleine lumière, exposée aux regards de tous, forte de ses renoncements à l’indifférence ainsi qu’aux autres formes de citadelles inutiles dans lesquelles nous nous enfermons trop souvent, pensant nous protéger ? J’oubliais peu à peu mes premières impressions. Elle m’apparut alors comme l’un de ces longs bateaux attendant une rénovation qui peut-être ne viendra pas, l’esprit ouvert, attentif, non pas sur la défensive, mais prêt à offrir et à recevoir. Elle était le détonateur permettant au chercheur de trésor qui sommeille en chacun de nous d’exploser pour mieux se rencontrer. Elle cherchait un trou, une faille, une fissure, une entaille dans la terre ou un arbre, ou le temps, le fond de sa mémoire, elle ne savait pas trop. Elle cherchait à cacher un peu d’espoir… Pour plus tard, pour les autres, pour elle ne savait pas… Juste comme ça. Pour ne pas dévoiler (ou se dévoiler). Simplement parce que son instinct le demandait et que sa générosité refusait toutes limites. Elle était capable de s’oublier pour ne penser qu’aux autres. Elle offrait son temps et son intelligence, sa faculté d’écoute, pour vous permettre d’être. Elle n’était pas effacée, mais savait s’effacer pour vous laisser pénétrer dans ce que vous possédiez de plus intime, de plus précieux, et vous faisait comprendre, sans rien dire, juste par sa présence que la plus grande richesse était de ne rien posséder.

Des images s’imposaient. Je la voyais avec un enfant, le guidant sur les chemins d’une liberté nouvelle. Donne-moi quelque chose qui ne finit pas, qui sera toujours renouvelé, dit l’enfant, elle lui apprit à regarder et à comprendre, à apprendre aussi… Et sa joie fut une source intarissable. Elle le prit par la main pour le guider vers ce qu’il ne connaissant pas encore peut-être…

Elle se savait ignorante et s’en trouvait grandie. Je l’imaginais, aussi, dans un pays ravagé par la guerre. Les corps avaient éclaté sous l’impact d’une bombe. Ils étaient comme déconstruits, comme s’ils avaient peu à peu perdu leur humanité, cette disparition venant de l’intérieur (semblait-il), mais peut-être était-ce simplement une impression, un regard choisi et voulu pour atténuer l’horreur de cette destruction. Une femme gisait et geignait sur le sol. Elle avait été frappée puis violée puis frappée encore. Ils avaient vu en elle une proie, un objet comme l’une de ces breloques qu’achètent les touristes pour se convaincre plus tard de la réalité du plaisir éprouvé lors d’un voyage. Un enfant courait, les bras déployés, avion idéal venu pour le sauver ou funambule s’élevant lentement sur les ailes d’un moulin. M. avait choisi de ne pas fuir et attendait le retour du silence. Elle voulait sauver ce qui pouvait l’être. Elle savait que la barbarie doit, sans cesse, être repoussée, que tout le mal que nous faisons provient de notre peur, de notre lâcheté, qui est la peur des imbéciles. M. ne voulait ni ne pouvait s’économiser, la générosité ne peut être comptée. Le silence était venu, puis la paix, l’oubli, sans doute, s’installerait peu à peu, avec le retour à la vie. M. serait partie depuis longtemps. Vers de nouvelles solitudes à rencontrer.

Des années passèrent, sans nouvelles de M, puis j’appris sa mort. Par un ami… Suicide, disait-il. Il fait parfois si froid.

 

vendredi 1 janvier 2021

Avez-vous prêté…

Avez-vous prêté, ne fusse qu’une fois, attention aux feuilles d’un arbre ? La gémellité n’est pas dans leur nature… Et pourtant, si je voulais les décrire, je me révélerais bien incompétent.

Le regard se perd à trop vouloir prendre. Il y a plus de vie sur terre que nous ne le voulons croire. L’immensité est terreur pour qui refuse l’amour. Il serait facile de se laisser prendre… Mais la souffrance est habitude trop douce. Qui craint de ne point vivre refuse de s’en défaire.

Je suis le vent serein venu de nulle part. Je suis le vide qui anime la chair. Un soleil, chaque jour, disparaît… Et je suis toujours là. Le murmure d’une goutte d’eau, tombant dans une vasque, suffit à m’abreuver. Le partage me donne vie.

 

dimanche 20 décembre 2020

Bruits de vagues…

Bruits de vagues dans un jardin en feu. Bruissements d’ailes qui surprendraient l’ornithologue (cet observateur de la gent ailée).

À l’intimité du dieu vengeur, ce héros des adeptes du néant, je préfère la compassion de l’eau.

Il n’y a point d’océan dans la muraille bleutée de mon horizon. Aucun oiseau ne trouble la nudité de mon espace aérien. L’esprit a des libertés que ne connaît pas la matière. Il existe en nous, au-delà des sens admis, des antennes défiant la logique. L’homme ne serait pas s’il n’était que chair. Et l’univers, sans doute, chante en nous par delà notre conscience. Je suis le vent qui coule. Je suis le chant du soleil. L’écho des tourments de la terre. Ma voix est légion.

 

vendredi 18 décembre 2020

Il nous faut tenir…

Il nous faut tenir, seulement tenir,
simplement tenir, sans états d’âme,
parce que nous sommes des humains.

Ces individus paradoxaux, monstres d’égoïsme,
si lâches et stupides, et pourtant…
Capables de se sacrifier…
Pour une idée, un sourire, un symbole…
Pour un enfant à peine entrevu.

Cet humain, si fragile, nu.
Cet humain qui ne comprend rien
mais, qui parfois, saisit l’invisible.

La pire espèce que porte notre terre,
la plus dangereuse, la moins utile,
qui, certains jours,
nous feraient croire aux miracles.

Il nous faut tenir, simplement tenir.
Juste pour voir le jour se lever.
Juste pour être ensembles…
Encore et toujours.

 

mercredi 16 décembre 2020

Je suis le vent serein…

Je suis le vent serein venu de nulle part. Je suis le vide qui anime la chair. Un soleil, chaque jour, disparaît et je suis toujours là. Le murmure d’une goutte d’eau, tombant dans une vasque, suffit à m’abreuver. Le partage donne la vie.

Le froid, la nuit, le silence à l’état pur. Le ciel comme une invitation au rêve. Champ d’étoiles. Campus Stellae. La vieille route des marchands. Chercheurs d’épices, chercheurs d’âme ou d’espérance.

Je ne sais pourquoi, le froid et la nuit furent toujours mêlés dans mes rêveries. J’aime cette sensation, la solitude, qui pénètre mon corps. La solitude devenue matière. Le mot dépasse le sens, le mot dépasse l’objet. Le mot est un univers transportable et invisible, il est une présence, un réconfort, comme une forteresse face au monde. Comme un phare dans mon obscurité.

Le froid, le silence, la nuit. Le froid, le silence glacé, hurlement des loups, le danger est un voyage. Réalité et rêve réunis, comme deux amants, Isis et Osiris, frère et sœur amants sans être incestueux.

Le silence, l’espace blanc, immaculé. Un silence différent, la tache apparaît. Le premier espace n’était pas aussi blanc qu’il le parut de prime abord. Le silence n’est pas une absence, bien au contraire. Il n’y a pas de vide, juste une présence plus ou moins grande de la clarté.

La nuit, le calme et le repos. Je me souviens de ces êtres rencontrés, passé minuit, le temps de l’horloge laissait place à celui de la parole offerte.

La nuit est échange charnel, quand bien même celui-ci serait immatériel. A moins que l’absence de la matière ne soit la condition, unique autant qu’indispensable, de la communication. Je ne sais…

mardi 1 décembre 2020

C’est un sourire qui danse…

C’est un sourire qui danse
et qui se souvient.
C’est une larme qui remonte le courant
et se révolte.

C’est une injustice combattue.
Une voix qui chevauche le silence
et rend compte de notre ignorance.

C’est un corps chantant pour la lune,
cette enfant perdue.
Souffle et vent.
Sang et lame.
Cri en écho offert au néant.

C’est un songe éveillé,
tendre voyage,
rencontre mesurée à pas perdus.

C’est une attente qui s’oublie.
Une fuite maîtrisée.
Une hésitation qui se dessine
dans l’ombre d’un soupir.

C’est une compagne
qui ne se donnerait pas.
Une camarade de lutte.
Un regard sculptant l’infini

C’est une histoire partagée,
Peut-être…
Qui ne saurait avoir de nom.

 

dimanche 1 octobre 2017

Jardin de pierres

1

Silence du petit jour. L’automne est parmi nous. Grondements, chocs, cris, les rumeurs de la ville m’entourent. Je cherche le silence caché. La violence, peut-être, provient de la solitude. Mais pas de n’importe laquelle ! D’une solitude écartelée, vide et sans esprit. D’une solitude devenue prison et non pas espace offert à toutes les libertés de l’âme. Entre mon âme et moi existe parfois une faille où peut s’infiltrer le désespoir. Comme une vie qui se perd.

La ferveur parfois, comme si le doute oubliait, ouvre une porte à l’espérance. La nuit est entrouverte, tel un fruit obscur, chantant. Le silence interpelle la lumière.

L’arc-en-ciel après la pluie, tel un regard perché, réconcilie l’homme avec l’univers. Le ciel est une réalité fluctuante. Un nuage gorgé d’eau le transforme moins aisément que la moindre de nos pensées.

Une impulsion, comme l’un de ces ressorts libérant un piège, qui nous pousse à entreprendre un voyage sans connaître la destination. La réflexion se fait inutile fardeau. Le destin est notre guide. Je ne crois pas plus au destin qu’au hasard. La vie ne se peut écrire. La vie ne se perd ni se gagne. Elle se construit puis se parcourt sans jamais pouvoir revenir en arrière. D’or et de sang se trament mes souvenirs. Je connais mon passé mais n’en suis point le maître, heureusement, le présent seul est une ouverture. L’espérance est un trésor caché. Nous ne sommes pas. Nous devenons. Avancer ce n’est pas marcher mais marcher en s’élevant. Bientôt viendra l’oubli. Une page vierge s’ouvrira.

Entre deux mondes. Entre deux êtres. Entre deux parcelles d’éternité…

Combien de temps, de sang, de boue, d’amour, combien d’espoirs trahis, pour bâtir un pont entre l’homme et l’homme ? Tout ce temps donné à la souffrance. Tout ce temps passé sans aimer. Tout ce temps perdu, sans comprendre, sans savoir. Tout ce temps passé à souffrir pour que naisse l’inconnu. Tout ce temps épandu pour des semailles qui ne seront pas les miennes. Ce sang qui continue sa course vers le caniveau, ce sang donné à l’autre que je ne connais pas. Cet autre qui me laisse sans défense. Cette boue envahissante qui détruit l’image de ceux qui me sont chers, m’investissant jour après jour tel une place forte aux abois, pour enfin prendre possession de mon corps.

Solitaire, toujours, il me faut marcher et marcher encore, porter ces pierres de plus en plus lourdes pour mes épaules qui me paraissent, chaque jour, s’affaiblir un peu plus.

Combien de temps, de sang, de fatigues, combien de désespoir, de plus en plus présent, pour suivre une lumière qui s’éloigne toujours et, peut-être, disparaîtra ?

Pour quelle raison devrais-je me laisser dépecer, écraser, mettre en pièces ? Pour un but que je n’atteindrai pas ? Pour une clairière qui ne sera pas mienne ? Pour une source qui ne m’abreuvera pas ?

Me faudra-t-il longtemps penser en solitaire ? De là, sans doute, viennent mes terreurs. Suis-je un pessimiste heureux de vivre ou bien un optimiste qui doute ? Suis-je autre chose que le produit d’une éducation, d’une civilisation, de la peste noire, du hasard, d’un canular intergalactique ? J’aimerais bien savoir !… Ce n’est pas une obsession, mais, tout de même, j’aimerais savoir !

Bruits de vague dans un cerveau qui brûle. La vague est unique, solitaire, comme nous le sommes tous. Cette vague, qui n’est composée d’aucun élément matériel, me lave et me transforme. Elle entre par une brèche que je ne soupçonnais pas. Je me connais si mal ! J’avais besoin de la lumière du jour. De la voir. De la sentir. De la comprendre. De m’en imprégner. De la posséder de nouveau. J’avais besoin de refaire connaissance avec la vie, avec les hommes, avec la nature.

Combien de temps, de sang, de boue, d’amour, combien d’espoirs trahis, combien d’amis tombés, combien de souffrances acceptées, pour qu’une main se tende, effaçant le temps, le sang, la boue, ne laissant que l’amour ?

Il n’y a pas de bleu dans ma forteresse. La mer et la montagne me manquent. Le soleil aussi. Les néons ne parviennent pas à le remplacer. J’ai besoin de lumière, comme une fleur, je ne connais rien de plus stupide qu’une fleur, surtout sur papier peint… Là, sans doute, réside le secret de ma faiblesse, j’ai peur d’être stupide. Je connais pourtant des imbéciles heureux. Ils ne doutent pas. J’ai toujours considéré le doute comme le seul rempart réellement efficace contre la médiocrité, mais il s’agit aussi d’une ombre qui cache le soleil.

Peut-être me faut-il refuser de douter ? Peut-être faudrait-il que tout le monde refuse le doute ? Peut-être faudrait-il le faire disparaître de la surface de ce monde ? Ce serait beau !… Alors viendrait la lumière, déferlant comme ces vagues d’équinoxe, changeant nos impuretés en puretés nouvelles, ne laissant nul vivant, sur la terre, identique à ce qu’il fut. À ce moment viendraient la peur et le chaos, dévoilant l’autre aspect de nous-mêmes, le plus dangereux, car la peur nous suit pas à pas. Elle nous accompagne depuis la naissance. Elle nous force à courir vers notre point d’éclatement, nous oblige à rompre nos amarres, nos liens, avec la raison.

Mes rencontres sont des chasses. Je me brûle à mon propre brasier. Je m’autodétruis sans vraiment le comprendre. Je me perds dans les méandres de mon imagination. L’ombre de l’amour, heureusement, me rappelle à la réalité. J’aime une salamandre, la douceur de sa peau, la profondeur de son regard. Toutes les femmes aimées ont un regard profond. Toutes les femmes trahies pleurent dans ma mémoire. Toutes les femmes que j’ai aimées arrivaient en retard. Toutes auraient mérité d’être trahies.

Pourquoi n’aimes-tu plus le vent ? disait-elle lorsque nous nous vîmes pour la dernière fois. Je croyais alors que rien de ce qui la concernait ne pouvait être aimable encore, et elle me paraissait pourtant être l’univers. Les forteresses de la passion ouvrent les portes du désir.

Je brûlerai mes vieux habits, détruisant mes chairs mortes et inutiles, afin de m’alléger. Je libérerai mon imagination et découvrirai ainsi une logique nouvelle. J’aurai besoin, alors, d’avancer en pleine lumière et de reconnaître, dans cette clarté, qui naguère me laissait apeuré, ma propre image en mouvement. Il me faudra aussi, sans voir, sans entendre, sentir la vie couler sous mes doigts, la suivre dans ces contrées vierges encore, l’approcher tout doucement, comme pour un animal craintif le ferait l’homme qui le chasse, à la recherche de sensations neuves, inusitées et non pas à la poursuite d’une proie. Sans voir, sans comprendre, sans entendre, comme dans un rituel d’enfant, il me faudra apprendre mes sens, les sentir, les pénétrer, les habiter et ne plus être qu’un œil, une oreille, un cerveau. Il me faudra, ensuite, dépasser ce stade, je deviendrai une part de l’univers, une parcelle de la vie (ne fut-ce qu’un instant)

Il me faudra, ensuite, aller plus loin. Suivre ma route sans tracer de chemin. Progresser en confiance sans chercher à connaître le but. Fermer les yeux, tendre la main et sourire, sans même m’en apercevoir, comme dans une danse, comme dans un jeu. Et puis, sentir approcher le rivage, avant même de le voir, sentir son souffle épouser ma respiration. Découvrir enfin que rien ne m’est étranger.

Alors, et alors seulement, je pourrais avancer, enfouissant mes pieds nus dans la chair de cette terre nouvelle. Je ramasserai un grain de sable, l’un de ces innombrables et minuscules points qui construisent la terre. Je m’apercevrai qu’il est unique et pourtant identique aux innombrables grains de lumière composant l’univers. Je me reconnaîtrai en lui, qui est une partie de mon existence, de même que je fais partie de lui. Il n’y a pas de frontière entre ce qui bouge et ce qui est inanimé. Nous ne sommes jamais totalement seuls. Dans la lumière, je pars, je n’ai plus peur.

2

Je suis comme un aveugle et pourtant mes yeux ne sont pas morts. Je dois apprendre à regarder, à saisir les pensées avant qu’elles ne s’envolent. Je dois aussi apprendre à les réchauffer entre mes mains, à les couver afin qu’elles fleurissent puis à surveiller leur croissance, avec passion, avec patience, comme un jardinier, un amant ou un père. Je dois enfin accepter de les regarder partir, grandir, se multiplier, se donner à de multiples amants.

La nudité la plus crue. La peur, dépouillée d’elle même, seule, face à son propre cri, confrontée à son néant, exsangue, le corps lisse en apparence. Comme un lac qui repose, parcouru seulement par de furtifs courants, comme des veines mouvantes aux graciles caprices d’elfes libertins. Et puis l’attente. L’attente qui est absence de mouvements et qui pourtant est souffle. Souffles multiples en perpétuelle errance, mouvements imperceptibles, éoliens. Microscopiques fusées comme des points sans couleur que l’œil non averti confond. Et pourtant chaque souffle, comme une tache sans forme ni apparence, pour celui qui ne sait voir, est plein d’une vie complexe et unique, en mouvement. Chaque vie de chaque souffle, aux autres vies, dissemblable. Comme ne le peut imaginer l’homme pressé confondant mouvement et dispersion. Cet homme, malheureux sans doute, qui prend son refus de l’autre pour preuve de sa propre cohérence.

Chaque souffle parcourant le corps sans cesse, sans faiblir, semblable en cela aux autres souffles innombrables. Chaque souffle est énergie pure et ces points sans nombre, qui se confondent, mais ne se mélangent pas, forment la vie à eux tous. La vie qui est peur et attente. La vie qui est énergie, la vie qui porte et anime, et chante en nous lorsque, dénudée, chante la peur.

Dans la nuit obscure je partirai, comme un hommage à San Juan de la Cruz, le silence se fera oubli. La vie ne sera plus que vide. Les mots perdront leur saveur, leur sens, leur empreinte. Dans ce silence sans fin, dans l’oubli des semences de l’espérance, uniquement préoccupé par ma petite existence, me dissolvant peu à peu, je finirais par me perdre, m’oublier.

Dans ce silence sans fin. Dans l’oubli des semences de l’espérance, uniquement occupé de moi-même, me dissolvant peu à peu, je m’oublierai.

Dans cette vie qui ne sera plus que vide, tournoyant sur elle-même comme une sculpture morte, et d’elle-même affamée, tendre complainte qui n’aurait plus de sens. Sans but. Sans foi. Sans nourriture. Comme ces amours, vidés de leur substance, transformés en greniers, détrousseurs de nos solitudes. Les mots, détrousseurs de nos solitudes, ornés d’oripeaux au parfum d’habitude, les mots, sitôt prononcés, seront oubliés.

Dans la nuit obscure, je partirai, chevauchant les plaines désolées et les immensités fertiles de nos espoirs les plus hauts et les plus tendres, de nos douces splendeurs, de nos joies précieuses et furtives, de nos peurs renouvelées qui nous poussaient l’un vers l’autre, et nous ouvraient comme l’auraient pu faire ces clés magiques, dont parlent les livres anciens, afin qu’en nous entre l’univers.

Dans le silence de cette désertique plainte, toujours inachevée et qui ne peut mourir car elle ne sut naître. Unique et dense comme le néant et comme lui sans existence. Car la vie et l’oubli seront un. Les mots resteront, comme un espoir, presque comme un souffle, brindilles sur la mer.

3

Il y avait une porte blanche et lumineuse. Un bruit doux et tendre, presque caresse, plutôt soupir. Comme une plainte, un appel, une demande. Formulée du bord des lèvres afin de ne pas ternir l’intimité de la bouche, cavité buccale, presque caverne, entrée d’un gouffre, ouverture sur l’au-delà des songes, la face cachée de la raison. Lèvres juste entrouvertes.

Parfum subtil de la femme. La voix bientôt libérée. Le regard profond, sans aucun doute,
le corps aussi, son mouvement dessiné à peine. Vie cachée, source ou fontaine… Peut-être…
Silence, comme un sanctuaire, non pas église mais tabernacle pourtant. Défenses à investir une à une.

Défenses, redoutes, forteresses, fortifications, bosquets impénétrables, doutes silencieux, peurs contenues, violence réduite en esclavage.

Il y eut une autre porte. Bleue et mouvante. Un silence, puissant et vaste, comme une vague, un courant, une source tendre et amère, un peu, une vie muette et agissante, offerte.

Il y eut enfin une lumière franche. Et puis le silence. Comme une promesse.

L’espoir, la nuit, le silence. Un regard chargé tel une arme, non pas fusil ni même poignard, qui pourtant serait plus proche de la vérité par l’image qu’il impose : deux corps associés comme le seraient des complices, mais plume qui écrit et transperce.

L’espoir, la nuit, le silence. Une voix portée au rouge. Oeuvre d’alchimiste et non de comédien. Les mots sont comme des galets emportés par une vague. Ici, l’éternité remplace l’océan. Mots porteurs d’émotion et de tendresse. De sens aussi. À l’état brut, dépouillé de sa gangue de raison, conventions, habitudes…

L’espoir, la nuit, le silence. La nuit comme espace de liberté. Une nuit opposée à toutes contraintes géométriques et temporelles. L’espace-temps est oublié. La joie devient l’unique dimension du monde. L’espoir s’est installé au cœur du silence.

Jour et nuit mêlés. L’œuf originel. La goutte de vie primordiale. Matière et énergie con- fondues.

Le rythme devient lente vibration, rythme irrégulier. Pulsation teintée de sens. Une phrase apparaît, puissante et fluide, mascaret serein et rigoureux, vivant et sensuel. De la rigueur naît l’extase. La phrase, musicale maintenant, enfle et se transforme. Une étoile apparaît. Naissance de l’univers. J’entends le sang couler dans mes artères, source jaillissante de la roche, images de feu, ombres de lumières. La pensée devient chair, squelette, matière en fusion, entre torrent et lave. Je suis arbre qui grandit. Flamme animée par le souffle vital. Ma gorge s’ouvre. Ma voix jaillit enfin.

Il me faudra partir. M’abandonner au courant. Il me faudra laisser mon esprit comme l’on se défait, à la saison des mues, d’une vieille peau et que l’on est reptile. Il me faudra oublier l’homme ainsi que l’animal. Ces deux entités qui se déchirent et me possèdent. Je deviendrais arbre, fleur, herbe, grain de sable. Je serais la voix du vent dans le désert des larmes. Je serais le vide qui jamais ne s’emplit. Je serais la chute du temps. Je serais la fuite des feuilles. Je serais silence à l’écoute du monde. Je serais le feu et l’eau. Je serais la matière et son absence. J’intégrerais l’univers. J’irais, solitaire et serein, à ce festin de cendres. Je m’offrirais pour nourriture aux passants affamés.

Je fus géante rouge, je deviendrais graine de vie, source intarissable. La vie est une spirale, mais la peur est un gouffre.

Les chants de la terre montent dans le soir. Ciel de neige, la ville s’endort, le silence s’est installé, comme une lumière profonde et subtile. Qui suis-je face à la solitude ? La pensée peut être une compagne. Encore faudrait-il qu’elle touche à l’universel. Mon avenir sera l’enfant de mes rêves. L’imagination est la seule ouverture. La seule porte vers la vie. Entre asphalte et nuages, une ville s’est levée. Un dernier rêve, presque un cauchemar. Mon petit garçon est mort. Je le savais mortel et passais le temps à m’agiter, à remuer sans avancer. J’oubliais que le temps ne m’appartenait pas, que je n’avais pas le temps de dormir, de me perdre dans les méandres de rêveries factices, de tourner comme un derviche sans conscience. Seul mon confort égoïste m’occupait. J’accumulai les actions stériles comme un avare, craignant de vivre, s’entoure de pièces d’or.

Je n’ai jamais eu d’enfant.

4

J’aime une femme qui fut une salamandre. L’alchimie, toujours, tient ses promesses. J’aime, mais suis-je aimé ?… Quelle importance ! Ce qui fait partie de ma vie ne peut m’être pris. Je ne pourrais le donner même si je le voulais. Mais je peux offrir ma joie. La vie se remplit de ces petits bonheurs.

Le silence est une source où il me faut boire. Une blanche page qui ne deviendrait jamais noire. Le sens ainsi demeure évident. Le sens, toujours, sera ma préoccupation.

La communication avec les anges ? Le silence serait-il un gouffre ?

Trou noir… Antimatière… Spirale, piège à vertige. Peut-être faut-il perdre le goût du bonheur pour trouver le sens de notre existence.

La vie est-elle porteuse d’une signification précise ? Les anges ont-ils des ailes ? Je ne sais… Ils ont certainement un sexe, le contraire me décevrait…

Je ne peux supporter l’idée de l’angelot rosâtre, le ventre lisse, la poitrine plate, et les fesses gonflées plutôt que charnues. Je ne veux non plus imaginer un ange velu, l’image m’est trop pénible, plus proche du rapace grabataire et poussif que de l’humain ailé. L’ange ne peut qu’être femme, l’avenir de ma foi est à ce prix.

Jardin de pierres… Ce lieu vit mon berceau, connaîtra-t-il mon tombeau ? La vie est une spirale et le temps est une route. Je rêve d’écrevisses rougies par la cuisson. La musique en moi sera toujours présente. Machaut, Bach, Varèse et quelques autres, cailloux en archipel, délimitent mon royaume. L’esprit s’oublie dans cette immensité. Des arbres stylisés, branches plutôt que troncs, tissent ma mémoire. Le souffle du vent discret ignore la tempête. Ma fin sera mon commencement.

Je marche sur mes traces anciennes. Je ne serai jamais un bon guide. Ma voie m’apparaît plus incertaine que ma voix…

J’ai toujours eu du mal à m’exprimer. Je m’imagine, non sans mal, télépathe et ne suis pas sûr d’aimer cette idée. L’absence du corps, sonore ou charnel, présente autant d’inconvénients que d’avantages. J’imagine la situation :

Petite tragi-comédie inspirée d’une pantomime à l’antique manière.

Arlequin, debout, sur le devant de la scène, dans ce costume cher aux enfants sages et érudites (l’opinion des hommes ne me préoccupe pas) face à lui, colombine, dans le même costume. Ils se parlent. Aucun son n’est émis. Leurs figures sont identiques. Simples images théoriques, comme leurs noms : A et C pourraient remplacer Arlequin et Colombine, A et B seraient plus logique, A et A plus proche de la réalité.

Un homme voit son reflet dans une fenêtre sans vitre. L’imagination est au travail, me direz-vous, à moins qu’il ne s’agisse de la mémoire. Cet homme est amnésique. Il sut compter sur ses dix doigts avant qu’un accident ne le prive de ses membres supérieurs et inférieurs ainsi, d’ailleurs, que du reste de sa personne. Malgré tout, le reflet est réel. Pour l’homme tout au moins. La nature est miséricordieuse.

La mer danse pour la lune. Mes ancêtres furent des insulaires. Le mot îlien fut ma pensée première. Je suis né au milieu de l’eau. Sa douceur, souvent, me hante. Eau et roc furent mes premières amours. Le bois et le feu vinrent ensuite.

Aujourd’hui, le vent est ma passion.

Je me voudrais homme au manteau de vent… Serais-je obsédé par Éole ? Je ne me veux pas incarnation du vent. Je ne l’ai jamais regretté. Telle est, peut-être, l’une de mes faiblesses. Qu’importe… Je suis enfant d’une civilisation et ne le nie point. J’aime le vent comme on aime un ami intime. Sa nature, différente de la mienne, le rend plus aimable encore, plus aimé surtout. Le vent est le souffle de la vie fécondant la terre. Comme un feu qui oublierait de mordre. Comme une source d’eau fraîche presque désincarnée. Le vent est la mémoire du monde.

 

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