En ces époques nues…

En ces époques nues où la chair de l’émotion laisse transparaître le squelette de la raison sociale (raison de l’entreprise individuelle qui, pourtant, méconnaît l’individu) la masse – toujours elle – prend le pas sur l’être… Comme le paraître sur l’existant.

En ces époques nues la politique du reste a rang de philosophie. L’art, quant à lui, ne saurait exister. Un grain de riz perdu sur le pavé devient marbre à sculpter. Un univers voit le jour. Création éphémère d’un amuseur affairé en quête de gains faciles à obtenir. Ainsi commerce et art se confondent. La masse, toujours, étouffe le sens.

Le riz est un paysage. Femmes courbées dans les rizières. Conversations de fin de soirée où la chaleur de l’alcool remplace l’inspiration. Repas partagés, un grain de riz divisé en cinq, puisqu’il y a quatre convives, la cinquième part sera pour le pauvre de passage, le plus pauvre d’entre nous, le rat, ce mal aimé. Ainsi devrait être l’amour, un don, sans rien attendre, à celui qui ne possède rien, pas même l’amour. Du festin à la cène, parfois, suffit un pas, qui sera ou non franchi. Un soupçon d’intention peut changer le monde. Nous étions insouciants, égoïstes, peut-être… Nous voilà acteurs d’un drame planétaire. D’une aile de papillon dépend le sort du monde. Il suffit parfois d’un souffle pour que tombe dans l’oubli une civilisation hier triomphante.

Sur une table, les restes d’un repas. Un grain de raisin rescapé d’un génocide. La naissance du vin ne provient-elle pas d’une mise à mort, celle du raisin ? Quelques bouteilles renversées dressent le décor. Cadavres qui furent froids avant même de mourir. Un nom unique désigne la dépouille de l’homme et celle du vin. Les deux dépouilles, souvent, se confondent. Traces de vies perdues.

Des cris, quelques rires. Le sang qui coule dans les veines. Un repas partagé. Des paroles échangées. Puis la mort, qu’il y eut ou non un bûcher. Seule reste la cendre.

Un jour, le silence, pas l’absence de bruit, non le vide, mais son contraire. Le silence est là. Présent comme du granit. Des ondes, vibrations incertaines, souterraines, intériorisées. Un tremblement à peine perceptible s’empare des corps. Perçue tout d’abord comme un fantasme, sa réalité, bientôt, ne prête plus au doute ce qui appartient à la peur. Peur du cataclysme. Du tremblement de terre, cette mort offerte par la nature. La tour s’écroule. Le désert reprend ses droits. Un grain de raisin encore vert est tombé (d’une table sans doute) La table n’est plus, reste son ombre, fruit trop vert pour être convoité.

La solitude reste ma compagne…