Ce que chante le vent aux arbres…
Ce que chante le vent aux arbres, comme s’ils étaient encore des arbrisseaux fragiles, à peine perceptibles pour l’œil indifférent, ne saurait être entendu par l’ambitieux cherchant à gravir un à un, et si possible en compagnie de cette souffrance rédemptrice qui accompagne, au dire de certains, l’apprentissage laborieux du savoir respectable.
Ce que chante le vent aux arbres, ainsi qu’aux enfants, ces arbrisseaux à la tendre chair, n’appartient pas au monde de la raison, cette donneuse de leçons austères et stériles. Ce que chante le vent aux arbres ne saurait trouver grâce, s’il la demandait, auprès d’aucun censeur, ces respectables empêcheurs d’exister.
Il y avait un arbre, jeune encore – bien que ses feuilles l’eussent abandonné déjà, lors de plusieurs automnes, qui vivait heureux sur une colline. Il vivait son existence d’arbre qui est, comme l’on sait, différente de la notre, de par sa longévité autant que par son mode de déplacement, immobile en apparence et vertical.
L’arbre ne connaît pas l’agitation de l’homme qui, bien souvent, bouge sans avancer. L’arbre tend à l’élévation et non à cette forme d’ivresse qu’est souvent le voyage humain.
L’arbre, donc, vivait… Paisible, peut-être, serein sûrement. Il ne vivait pas sur sa colline. Il ne vivait pas avec sa colline… Il était la colline. Et, de la même façon, la colline était l’arbre. Il était aussi l’oiseau, venant quelques fois se poser sur ses branches, ainsi que le rongeur qui passait… Ou bien même le scorpion… L’arbre ne connaissait ni le mal ni le bien.
Lorsque je dis de l’arbre qu’il vivait heureux sur sa colline, je tiens un raisonnement d’humain. L’arbre, bien entendu, n’aurait jamais eu une telle pensée. Nous découpons notre vie en tranches. Les instants de bonheur suivent les instants de déplaisir (le malheur est une notion trop forte pour être découpée), les arbres ne séparent pas les instants, ils vivent du rythme de la nature, ne connaissent pas les sentiments humains, cette division de l’âme.
L’arbre sur la colline était l’univers. Il était la terre. Il était le feu. Il était l’eau et le nuage. Il était la matière et l’énergie…
Mais il n’était pas le vent. Le vent fait partie de l’univers, mais il n’est pas seulement énergie et matière, il est aussi pensée. Non point pensée particulière, ni même pensée abstraite et absolue, mais la pensée originelle, dans sa plénitude.
Le vent ne soufflait pas pour le plaisir. Il ne soufflait pas non plus par nécessité biologique, il était avant tout un chanteur…
Il vint sur la colline. Étendit son souffle comme un oiseau tend ses ailes au moment de l’envol. Il pénétra l’arbre et se mit à chanter. Je ne pourrais vous dire ce que fut ce chant. Je n’en connais point la signification mais l’arbre en saisit le sens. La compréhension eut-elle une place dans cette rencontre ? Je l’ignore. Mais ce jour vit le commencement de la métamorphose de l’arbre.
Ce que fut ce changement échappe à ma compréhension.